Ce livre propose une traversée de l’oeuvre de Sartre depuis la constitution de son programme philosophique dans les années 1920-1930 jusqu’aux dernières conséquences intellectuelles qu’il en tire, pour la philosophie, pour la littérature et pour la politique, dans les années 1970. En se donnant pour tâche de reconstituer chez Sartre ce qui se donne comme une anthropologie politique des émotions, il suit au gré de l’histoire du vingtième siècle, de ses séquences politiques, de ses « violences » et de ses luttes, notamment décoloniales, les différentes manières dont la phénoménologie existentialiste sartrienne prend en charge la crise de la fonction intellectuelle consécutive, selon la formulation d’Enzo Traverso, à la guerre civile européenne. Proposant, à partir de plusieurs archives, de nouvelles lectures des rapports de la philosophie de Sartre avec différents massifs de la pensée contemporaine, qu’il s’agisse de Bergson ou d’Alain, de Heidegger ou de Nietzsche, de Freud et de Ferenczi ou encore de Camus et de Fanon, ce livre est une invitation à une autre histoire politique du XXème siècle et, davantage encore, à une autre poétique de l’histoire intellectuelle qui en fut l’inséparable doublure. Il ne peut dès lors manquer de déborder vers la situation qui est la nôtre. Plutôt qu’une période de résignation, notre époque est plus probablement une époque qui est activement privée de cette réserve d’affectivité et de puissance politiques qui mérite le nom de savoirs critiques.
Grégory Cormann, Sartre. Une anthropologie politique 1920–1980
Peter Lang (2021) pp. 358